INTERVIEW JEAN-CLAUDE ELLENA HERMES, KILIAN HENNESSY, SERGE LUTENS, FREDERIC MALLE 25 août 2013

INTERVIEW JEAN-CLAUDE ELLENA HERMES, KILIAN HENNESSY, SERGE LUTENS, FREDERIC MALLE

JEAN-CLAUDE ELLENA, Créateur Parfumeur HERMES

pour ICONOfly6 LE PARFUM, Journal d’un accessoire

Je me souviens…

Les odeurs ne sont pas mes seules curiosités. J’aime saisir d’un regard furtif les gestes quotidiens qui racontent nos rapports aux odeurs, aux parfums, car le geste précède le parfum. De mon carnet de Moleskine, je vous livre quelques gestes communs, souvenirs volés au hasard d’un moment d’intimité, de partage, de fortune, de lectures.

Je me souviens qu’elle vaporisa le dos de sa main avec le parfum que je venais de lui offrir, puis tendant sa main à son mari elle lui demanda : Est-ce bien moi ?

Je me souviens de Tyrone Power dans le film Le Signe de Zorro, lorsque Don Diego Vegas entrant d’Espagne évoque au Capitaine Esteban Pasquale son plaisir des parfums agitant sous son nez un mouchoir en dentelle blanche et parfumée, afin de paraître précieux et pacifique.

Je me souviens qu’elle releva son épaisse chevelure noire de sa main gauche, puis se parfuma la nuque de la main droite. Laissant tomber sa masse de cheveux, elle tourna sa tête de à droite puis à gauche plusieurs fois, comme pour emprisonner le parfum qu’elle venait de vaporiser.

Je me souviens de l’histoire d’un enfant de huit ans qui versait sur son oreiller quelques gouttes de l’eau de toilette de son père, pour pouvoir s’endormir tranquillement.

Je me souviens d’une amie qui ayant peur de l’avion transportait en permanence un petit flacon de parfum –amulette olfactive- qu’elle portait à son nez au décollage comme à l’atterrissage.

Je me souviens…

KILIAN HENNESSY, Editeurs des parfums KILIAN

Sur la Beauté en Parfumerie

Platon disait : « Il faut qu’il y ait de la Beauté dans la Cité »

Parce que le Beau implique un épanouissement, c’est une clarté qui rayonne. Ce qui veut dire que le rôle du Beau, aussi bien dans l’Art que dans l’œuvre de notre métier serait d’ôter son obscurité à la réalité.

Seuls les sectaires de la pensée pourraient oser créer une distinction de classe et de nature entre le Beau dans les Beaux-Arts comme étant noble, et le Beau dans la vie à travers les œuvres de notre métier comme vulgaire et mercantile. Brancusi disait : « Les choses de l’Art sont des miroirs dans lesquels chacun voit ce qui lui ressemble ».

Cela est d’autant plus vrai en parfum qui offre aux individus la faculté d’harmonie et leur permet d’exprimer une facette de leur personnalité à travers leur propre interprétation.

C’est pourquoi les grandes œuvres sont à la fois « matière » et « esprit »… C’est pourquoi je considère qu’un grand parfum se doit d’être une grande histoire bien avant d’être une jolie harmonie olfactive.

SERGE LUTENS, Créateur des parfums SERGE LUTENS

ODORISER, DESODORISER

Tout est parfumé, plus rien n’a d’odeur !

Odoriser et désodoriser ont pris le même sens. Un arsenal pour le carnaval du cinquième sens. Bougies, bombes, pots-pourris, diffuseurs, déodorants créent leurs faux-semblants. Ouvrir une fenêtre demeure la solution.

Le déodorant est aussi un mauvais parfum qui n’avoue pas son nom.

L’absence d’odeur est devenue une forme d’angoisse qui pourrait faire apparaître l’idée même d’un mauvaise odeur. Le goût du parfum ne saurait exister qu’à partir d’une conscience des lieux, des matières, des êtres. Si ce n’est le cas, il peut disparaître. Il abîme les sens plus qu’il ne les active.

Si ce n’était pour nous recentrer et pour nous faire connaître, à quoi d’autre pourrait servir un parfum ?

FEDERIC MALLE, Directeur Artistique des parfums FREDERIC MALLE

Créer l’aimant

J’aime aller jusqu’au bout d’une idée, construire un accord nouveau, me mettre en danger. Faire confiance au parfumeur que j’ai choisi et adopter sa logique, jusqu’au moment où j’ai la sensation que j’ai mis la main sur un truc particulièrement intense. Cela peut prendre un mois comme dix-huit. Il faut alors être très honnête avec soi-même, savoir prendre du recul. Ce n’est pas tout d’être surpris, il faut aussi avoir un parfum suffisamment fini pour dépasser le stade de l’ébauche. Sinon c’est du narcissisme.

Le parfum est une étape extrêmement importante du plaisir. Enlever le parfum, c’est virer dans un monde sans couleurs. Des couleurs qu’on attrape avec son nez.

Ne pas se parfumer est comme perdre un sens. C’est bien pour cela que le parfum a survécu des milliers d’années. Certains parfums sont des monuments historiques. Ils m’ont fait tomber amoureux. Il faut préserver leur héritage.

Croiser quelqu’un qui porte l’un de mes parfums est grisant. Mais je ne cherche pas à être Pygmalion. J’aime seulement rendre les gens olfactivement plus beaux. Car le parfum ne concourt-il pas à un but ultime ?

Sentir bon et se sentir plus attirant.